Du déficit aux besoins éducatifs particuliers

Termes et concepts à connaître et à distinguer

Michele Mainardi, Prof.dr (SUPSI-DFA)


L’attention que nous portons aux personnes qui sont typiques ou différentes par rapport à une norme donnée, définie sur la base de critères unificateurs tels que la capacité, le sexe, l’ethnie, la race, le statut social, l’orientation sexuelle, la religion, etc. est sans doute l’un des principaux témoignages de l’évolution de la prise en compte de la diversité dans la culture et les valeurs humaines des sociétés. Une telle évolution dans le domaine des besoins éducatifs particuliers nous invite à considérer et à distinguer la personne du trait (déficit, trouble ou désavantage) et à la considérer dans sa relation dynamique et interdépendante avec ce qui l’entoure à un moment donné et dans son parcours de vie.

D’où l’impératif qui consiste à éviter de subordonner la personne au trait : “personne en situation de handicap” vs “handicapé”, un choix à faire dans l’intérêt de considérer pleinement la personne en tant que telle en premier lieu. La présence ou l’absence d’un handicap est un trait de la condition personnelle mais ce n’est pas le seul et peut-être même pas le plus important ou le plus fondamental.

Mots et concepts clé :

  • le déficit
  • la déficience
  • le handicap
  • la situation de handicap
  • les handicaps de situation
  • les besoins éducatifs particuliers
  • le handicap et les besoins éducatifs particuliers

Le déficit. Il affecte la dimension organique de la personne ; il s’agit d’une diminution de l’activité fonctionnelle de l’organisme ou de certains organes par rapport à la norme : d. visuel, d. intellectuel,….

Un déficit est toujours : observable, mesurable et constant indépendamment (dans sa forme et son degré) des variables du contexte.

La déficience. L’incapacité résultant de la présence d’un déficit d’exercer une faculté de la manière ou dans les conditions considérées comme habituelles pour un être humain. Elle peut être permanente ou momentanée, stable ou évolutive.

Les capacités/incapacités peuvent être :

  1. communicatives
  2. d’autonomie personnelle
  3. de mouvement
  4. d’utilisation du corps dans certaines tâches de la vie quotidienne
  5. de sorte qu’elles ne se révèlent que dans certaines situations
  6. relatives à des situations nécessitant des compétences particulières

Le handicap (condition de désavantage en situation). Le développement et l’exercice d’une faculté peuvent être facilités ou limités par l’environnement comme effet secondaire de la présence de déficiences, de troubles ou de désavantages. Le handicap concerne aussi bien l’impact du déficit sur l’état individuel que l’accumulation supplémentaire de difficultés.  

Un déficit peut conduire à un handicap dans une situation donnée mais ne le détermine pas unilatéralement ou indépendamment des variables contextuelles.

Un handicap dépend toujours de l’influence de variables contextuelles.


Fig. 1 – Interdépendance entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux dans la détermination des opportunités dans le “ici et maintenant” et dans la condition de besoin d’attention particulières. (Mainardi, 2022)

Le handicap de situation. Il peut limiter ou supplanter : les possibilités d’action et de participation considérées comme habituelles en fonction de l’âge, du sexe, des facteurs sociaux et culturels ; l’accès et l’utilisation des moyens de transport dans des conditions données ; les possibilités d’accès aux services administratifs, l’exercice des droits civiques, la participation à la vie sociale normalement considérée comme accessible à tout le monde, ….

Il s’agit d’une condition de désavantage qui affecte le rôle d’agent, l’autodétermination et la participation sociale et culturelle et qui a lieu dans la rencontre entre une personne (avec des déficiences, des troubles ou des désavantages spécifiques, avec ses ressources, son bagage expérientiel, son réseau social et ses stratégies, …) avec des conditions ponctuelles plus ou moins favorables, plus ou moins défavorables, dictées par des situations contingentes individuelles qui, habituelles ou non, doivent recevoir l’attention nécessaire pour éviter une accumulation inutile et inappropriée de difficultés chaque fois que cela peut être empêché.


Fig.2 – L’expérience ” ici et maintenant ” : une interaction particulière, spécifique, dynamique, qui n’est pas neutre dans son impact sur le présent et ses développements. (Mainardi, 2022).

Une personne ne connaît une condition de désavantage que lorsqu’elle est confrontée à des situations données qui, dans leur manière d’être et de se présenter comme “habituelles”, n’envisagent toujours pas l’attention nécessaire pour éviter ou contenir une telle condition. Chaque situation individuelle, par sa plus ou moins grande prise en compte des facilitateurs et des obstacles et la mise en œuvre de conditions d’accessibilité appropriées et spécifiques, peut augmenter ou réduire le besoin d’une attention particulière dans la mesure où elle est plus ou moins réceptive et prédisposée à accueillir la diversité : en d’autres termes, dans la mesure où elle intègre ou non le spécial dans l’habituel.

Fig. 3 – Déficit, capacité et handicap de situation (Illustration de Stefano D’Ambrosio pour le CCBESS, 2021, d’après RIPPH 2006, libre adaptation. In : Mainardi, 2022).

Le handicap de situation : la personne qui présente un déficit ne vit pas nécessairement et constamment un handicap. Une personne n’est pas en situation de désavantage de façon permanente, tout comme ne l’est pas une personne souffrant d’un trouble du développement neurologique ou d’un désavantage socioculturel ou linguistique, mais la présence d’un handicap de situation peut entraîner une accumulation supplémentaire de difficultés (par exemple, des difficultés ou des obstacles dans l’accès aux situations et aux contextes dans lesquels la personne pourrait exercer ses facultés et développer davantage ses capacités).

– “La figure (Fig.3) illustre très bien les termes de la question en rendant macroscopique la distinction existante entre déficit et handicap, c’est-à-dire entre les effets primaires d’un déficit et les effets secondaires dans la situation, et notamment l’absence de correspondance univoque entre les premiers et le désavantage évident généré par la situation sur un plan factuel indépendant du déficit (l’exercice d’une faculté). La bande dessinée présente une personne qui semble vouloir se rendre au bureau de vote pour voter. La personne est capable de voter, le déficit moteur n’affecte pas cette faculté, mais dans l’immédiat elle en est privée par la situation particulière qui lui empêche d’accéder au bureau de vote par ses propres moyens (effet secondaire).” – (Mainardi, 2022, notre traduction)

Il y aurait aussi le vote par correspondance, mais… cela correspondrait à obliger quelqu’un à regarder un concert public à la télévision parce que “après tout, c’est la même chose” (?!), alors que les autres peuvent choisir de le suivre en direct ou à distance.

Situation de handicap et handicap de situation. La condition générale de désavantage, que les francophones appellent génériquement situation de handicap, peut être décomposée en sous-éléments constitutifs : les handicaps de situation qui se produisent dans des environnements et des situations de vie spécifiques (Minaire, 1992 et Mainardi, 2010).

En tant que tel, le handicap de situation individuel est discriminable et rattachable à des entités délimitées, clairement observables et spécifiques. Le handicap de situation fournit les ingrédients pour l’analyse de l’accessibilité des opportunités et des chances d’apprentissage, d’expérience et de participation de chaque personne et les éléments pour la planification d’une médiation sociale et éducative orientée vers l’accessibilité universelle et en tant que telle permet l’étude des obstacles et des facilitateurs de la situation.

Les besoins éducatifs particuliers (BEP) : un besoin éducatif particulier est défini par l’interaction sujet-contexte et fait référence aux élèves qui risquent, sans une attention appropriée, d’être dans une situation de désavantage. En d’autres termes, il s’agit d’une condition reconnue pour certains élèves en correspondance avec les difficultés objectives rencontrées dans les situations d’apprentissage habituelles (Rapport Warnock du 1978).


Fig. 4 – Facteurs d’influence sur les attentions particulières relatives aux BEP : facteurs personnels, facteurs environnementaux, facteurs culturels et institutionnels (Mainardi, 2022).

Depuis 2007, la macrocatégorie des élèves à besoins éducatifs particuliers (OCDE) est formellement reconnue en Europe. La définition comprend trois sous-catégories principales : les élèves présentant des déficiences, les élèves présentant des difficultés d’apprentissage et les élèves présentant des désavantages culturels, sociaux et linguistiques. Ces termes décrivent en gros les apprenants pour lesquels les pays européens fournissent des ressources supplémentaires afin de leur permettre d’accéder plus efficacement au programme scolaire.

Certains proposent une quatrième catégorie, celle des élèves à haut potentiel intellectuel, considérés comme des élèves parfois en danger de désavantage éducatif et social. 

Le handicap et les Besoins éducatifs particuliers (BEP & Déficience)

La littérature au Royaume-Uni propose actuellement une désignation différente pour encadrer les catégories décrites ci-dessus. Au lieu de l’expression “besoins éducatifs particuliers” (Special educational needs), ils préfèrent l’expression “besoins éducatifs particuliers et déficiences” (Special educational needs & disabilities), car dans de nombreux cas, la présence de déficiences ne nécessite pas nécessairement une attention pédagogique et didactique particulière, mais plutôt une attention particulière d’un autre type (accessibilité des environnements). Selon cette école de pensée, ce n’est que s’il y a un besoin de soutien éducatif spécial qu’un élève avec une déficience peut être considéré à BEP. Dans un cas comme dans l’autre, l’importance d’une attention particulière est reconnue afin de prévenir ou de contenir d’éventuels handicaps de situation.

Bibliographie

Committee of Enquiry into the Education of Handicapped Children and Young People (1978). Warnock report : special educational needs. London : HMSO. http://www.educationengland.org.uk/documents/warnock/warnock1978.html

Calabretta, V., & Mainardi, M. (2018). Esprimersi … diversamente! Per un linguaggio rispettoso della persona (con disabilità). Servizio Gender & Diversity e Centro competenze Bisogni educativi Scuola e Società / SUPSI.

Mainardi, M. (2019). Bisogni educativi speciali a scuola fra storia e (pre)concezioni. In: Monografia: Stereotipi, pregiudizi. Scuola Ticinese, No. 335; Anno XLVIII, Serie IV, Settembre, p. 25-30

Mainardi, M. (2022, en presse). Dal deficit al bisogno educativo speciale.

Mainardi, M. (2013). L’apport de la «défectologie moderne» aux pédagogies: en deçà de la zone proximale de développement (ZPD). In J.P. Bernié et M. Brossard (eds). Vigotsky et l’école (pp. 357-365). Bordeaux: Presses Universitaires de Bordeaux.

Mainardi, M. (2010). Pour une pédagogie inclusive. La pédagogie de l’accessibilisation. Centre universitaire de Pédagogie curative, UNI Fribourg, N°15, 345 p.

Minaire, P. (‎1992)‎. Disease, illness and health: theoretical models of the disablement process. Bulletin of the World Health Organization, 70 (‎3), 373-379.

OCDE (2007). Élèves présentant des déficiences, des difficultés et des désavantages sociaux: Politiques, statistiques et indicateurs. Paris: OCDE.

RIPPH (2006). International conceptual evolution in human developpement and disability. Réseau Internationale du Processus de Production du Handicap (RIPPH).

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